Qui ?

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Plasticienne. Créatrice de la Grande Lessive (site http://www.lagrandelessive.net, blog http://www.lagrandelessive.com) Performeuse : conférences-performances publiques et interactives sur l'art et sa définition. http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Politiques-ministerielles/Education-artistique-et-culturelle/Actualites/Conference-Performance-Un-conte-pedagogique-de-Joelle-Gonthier Conceptrice de dispositifs. Entre autres : http://classes.bnf.fr/clics/accueil/presentation.htm, http://expositions.bnf.fr/portraits/pedago/cent/index.htm,http://expositions.bnf.fr/objets/pedago/00.htm,http://expositions.bnf.fr/lamer/parcours/index.htm

L'art au quotidien est écriture de l'art en train de se faire, ici et maintenant, dans mon atelier ou dans mon jardin, en ville ou sur d'autres territoires. Support destiné à une lecture publique, il retient une écume qui dira ce qu'elle est plus tard. (Tous droits réservés pour les textes et les images).

samedi 12 avril 2008

d'indicibilité, d'indes
criptibilité, d'ineffabilité
vraie
définition
au moyen de
ce qui n'est pas
causé
le langage
s'emploie
à produire ce qui rend
muet

vendredi 11 avril 2008



Ciel
au Jardin des Plantes

Hier au Bulletin officiel n°15 de L'éducation nationale
les textes ont été publiés,
aujourd'hui
je relis
cet
entretien
réalisé pour la revue
Fenêtres sur cour du SNuipp en février dernier

Dans le projet des nouveaux programmes 2008, l'éducation artistique devient « pratiques artistiques et histoire des arts ». Que révèle dans ses contenus, ce changement d'intitulé ?

L’intitulé annonce des« pratiques artistiques » dont le texte ne confirme pas la présence et que l’emploi du temps prévu rend difficile à déployer. Le texte parle d’«initiation » et de « sensibilisation », plus que d’« enseignement ». Imaginez qu’en français ou en mathématiques, l’apprentissage soit nié et que l’on choisisse d’aborder ces disciplines uniquement sous l’angle esthétique et par les gestes qu’ils requièrent comme il en question pour les arts ! On expédie les arts visuels en deux lignes d’une extrême généralité -donc obscurité-, alors que l’on prétend rendre ces domaines accessibles à tous. Il existe ainsi des écarts considérables entre l’effet d’annonce donné au texte dédié aux arts, sa rédaction effective et la réalité de la classe.
De mon point de vue, nous assistons à la mise en place d’une école à plusieurs vitesses. Si l’on en croit ce texte, comme ceux du Ministère de la Culture, l’école voit sa compétence restreinte puisque c’est à la marge ou hors du temps scolaire (en particulier avec les dispositifs d’aide à la personne et de cours privés ou d’ateliers) que la « pratique » des arts a droit de cité. Cette évolution aggrave les distinctions culturelles, et les ségrégations sociales. Elle laisse aussi deviner une privatisation grandissante et une marchandisation de la culture. Il semble aussi admis que les élèves ne soient pas aptes à créer, mais seulement à devenir des consommateurs capables d’identifier un « produit » fut-il patrimonial. Dans un tel contexte, comment l’élève et son enseignant vont-ils aborder des contenus et des démarches quand la maîtrise technique (si difficile à acquérir même pour l’enseignant) et l’aspect esthétique (pouvant être assimilé au Beau) sont valorisés comme au 19èmesiècle et la formation de la personne perdue de vue ?

Pourtant, les programmes introduisent l'histoire des arts demandée notamment dans le récent rapport Gross ?

Adosser une pratique à des références et disposer de repères est nécessaire. Toutefois, la version donnée ici à l'histoire des arts est décevante, passéiste et très marquée. Les artistes « contemporains » ne sont pas contemporains des enfants, mais le plus souvent de leurs grands-parents ! C’est une version expurgée de l'art qui néglige ce qui en fait son histoire (les réflexions, les choix, les ruptures, les recherches..) pour ne conserver que quelques figures tutélaires consensuelles. Il s’agit plus de « monuments à ne pas manquer » et de marqueurs sociaux. Le tout est difficile à faire exister en classe, surtout à moyens constants. Par exemple, comment les enseignants pourront-ils donner du concret aux distinctions préconisées en horlogerie, émaillage et autres arts appliqués, sans contact direct avec l’objet ou sans enseigner ce qu’est une reproduction ou un multiple face à une pièce unique ? Et pourquoi oublier le théâtre, la danse, le cinéma et les interactions entre les arts ? Il y a une mise à l’écart de l’art en train de se faire. Le texte néglige les avancées de la recherche en pédagogie et en didactique de l’enseignement artistique, les efforts créatifs et l’implication des enseignants, ainsi que le renouveau de la médiation culturelle des musées, centres d’art ou bibliothèques. Il ne considère pas davantage le plaisir et l’intérêt des élèves pour la pratique artistique et la richesse et la diversité de l’espace que celle-ci leur permet d’investir. En fait, qu’est-ce que nier la contemporanéité du savoir sinon nous éloigner non seulement de la possibilité de nous l’approprier, mais aussi d’en créer nous-mêmes ?

Selon vous, les élèves ne vont pas s'y retrouver ?

Cette approche n’offre pas « à tous les enfants des chances égales de réussite ». Le texte saute allègrement des étapes de la construction des savoirs et des compétences. Les éléments de problématisation, si nécessaires à la compréhension, sont évacués. Pourtant, nul ne perd de temps à se demander pourquoi la peinture et le tableau ont occupé une place majeure dans notre culture et pourquoi il y a si peu de pratique de la peinture aujourd’hui à l’école alors qu’il convient d’admirer les œuvres qu’elle permet de créer ? Les élèves ont besoin de découvrir et de questionner ce que font les êtres, ce qu’est la vie en société... La pratique artistique, en sollicitant entre autres l’observation, l’analyse et la verbalisation, contribue à les faire naître à eux-mêmes, ce qui n’est pas un mince profit dans une perspective de formation ! Au lieu de cela, le programme insiste sur les bonnes techniques pour produire un effet esthétique. C’est comme réduire un texte à sa graphie et le vider de sens. L 'art contribue à penser le monde, à (se) le représenter, donc à s’y intégrer. Plus encore, il permet de créer d’autres mondes et de donner corps à la rêverie. Comprendre l’histoire de l’humanité ou se former à la recherche passe par l’expérimentation de tels pouvoirs. Le moins disant pédagogique des programmes nous soustrait cette liberté-là.

Selon vous, peut-on considérer les pratiques artistiques comme fondamentales ?

La peinture est plus ancienne que l’écriture ou le calcul. Elle est l’une des expressions majeures de notre humanité comme le sont la poésie, la musique, la danse, le théâtre... Le dessin est l’une des sources de la géométrie, de l’écriture... L'art participe tant à la formation de la pensée et à l’élaboration de connaissances que le retirer du champ revient à fragiliser durablement l’édifice. Supposer que l’on apprend de front, sans détours, sans imaginaire, sans désir, sans prendre appui sur des connaissances parfois étrangères ou éloignées du domaine étudié ou sans les autres est une fiction dangereuse pour l’avenir de l’école et une violence faite à chacun. Si l'enseignement n’était qu’une piqûre avec effet immédiat, cela se saurait.


jeudi 10 avril 2008




Lycée Claude-Bernard,
ancien site de formation des "professeurs de dessin"

mercredi 9 avril 2008

Je ne décrirai pas le massif du Hoggar
ni celui de l'Atlas ni la vallée des Rois.
Perdue dans la mémoire d'une terre en poussière,
soulevée par le vent dès le lever du jour,
la peinture s'étire -chat dégagé du poële par le lait répandu-.
Et si tu vois des lignes tu dois les oublier
pour dessiner les tiennes
comme des yeux fendus
laissant peser sur nous l'histoire qui nous fait.
Tu peux, si tu le veux, garder en toi l'odeur âpre du bois
qui vient d'être sculpté.
Tu peux sentir le feu des mains rougies
par l'ébauche des formes.
Tu peux faire beaucoup, mais préserve toujours
l'éclat des nymphéas
perçant sous la peinture.

J.G., 137 x 102 cm, 1987
Extrait de l'entretien accordé par Aurélie Nemours
le 28 novembre 1997
(Document J.G., Thèse)



Comment l'art gagne l'adulte ?
(Véronique Hubert dans le jardin à Montreuil, mai 2007)

mardi 8 avril 2008


Comment l'art vient aux enfants ?
(Détail de la conférence)

"Ne jetez pas le bébé de la culture avec l'eau du langage !"

(Jacques Rebotier, Lettres aux illettristes, Urdla, Villeurbane, 2008)

L’enseignement artistique : un bien commun

L’art comme lien majeur

Dans l’histoire de l’humanité, les chiffres et l’écriture viennent après le graphisme ou la sculpture. Plus encore, c’est parce que l’homme a su tracer des formes dans le sable à l’aide d’un bâton, projeter de la couleur sur la paroi d’une caverne, réaliser des tressages ou encore des encoches dans du bois, et échanger à partir de ces signes, que l’écriture et les chiffres ont été peu à peu élaborés. Si « socle » signifie bien « soubassement sur lequel repose un édifice », mon expérience de plasticienne me fait dire que si on le retire, l’édifice tombe. Restreindre le socle commun à savoir lire, écrire et compter, c’est présenter l’une des conséquences d’un lent cheminement vers une abstraction comme étant le support de toute acquisition cognitive ultérieure. Effacer de nos mémoires ce qui fonde notre savoir et notre humanité est un moyen pour le moins étrange de défendre transmission et tradition. C’est aussi nier que l’être humain a besoin d’appuis multiples pour construire sa personnalité et élaborer sa pensée. La dimension éducative de l’école, celle qui dépasse les apprentissages ciblés pour contribuer à la formation de citoyens responsables acteurs de leur devenir est ainsi perdue de vue.

Pourquoi les relations à l’art posent-elles problème au sein du système
scolaire ?

L’évaluation est certainement le point qui fragilise le plus l’enseignement artistique dans le cadre scolaire, non en raison de défaillances, mais parce que le besoin de définition dans un champ contamine les autres domaines. Dès lors, si nous questionnons l’évaluation réalisée en éducation musicale ou en arts plastiques, nous entamons une réflexion en cascade sur ce qui motive et soutient un apprentissage en général, sur l’adaptation de connaissances scolaires à la vie de tous les jours, les capacités et les désirs d’une personne en regard de programmes et de méthodes communes et pourquoi pas l’incidence de la génétique ! En somme, nous touchons à ce qui n’a pas à être développé en mathématiques et en français tant le risque est de remettre en cause le système en son intégralité. L’enseignement artistique apparaît ainsi tel un coin enfoncé dans les principes mêmes de l’enseignement, d’autant plus que la verbalisation et l’analyse de pratiques ou de démarches que celui-ci sollicite s’inscrivent en rupture avec les modalités dominantes à l’école : celles de l’exposé magistral, de l’interrogation et de la correction.

Le constat que, pour apprendre, il est nécessaire de comprendre et de s’approprier des connaissances est à la base de tout enseignement artistique. Que penserions-nous d’un acteur qui jouerait involontairement à contretemps, d’un danseur qui ne se dégagerait pas des exercices de barre au sol ou d’un clown qui répéterait une blague éculée sans distance ? La pratique de la réflexion collective repose sur la confiance en l’autre et l’absence de jugement de valeur : capable d’apprendre, l’autre est à même de nous apprendre et de nous surprendre. L’émerveillement ne naît pas de la conformité de la réponse, mais de ce qui fait événement en comblant nos attentes au-delà de ce que nous imaginions. C’est pourquoi « faire des mathématiques » ne se limite pas à « savoir compter » et « écrire », pour un écrivain, n’est pas « savoir écrire ». L’invention, la réactivité, l’hypothèse comme la simulation ou la fiction débordent ce qui autrement ne serait qu’application sans lendemain. Dans le cas de l’artiste, un choix de vie soutenu par une éthique issue de la pratique et de la réflexion qu’elle éveille, accompagne une démarche mise au point grâce à un travail quotidien et à l’étude de ce qui fait l’art.

Etre artiste c’est, au départ, décider de le devenir en dépit de ce que pensent les autres jusqu’à ce que les effets de cette démarche soient reconnus et regardés en manifestations incontestables de l’art. Ce parcours nécessite du temps et des moyens, parfois une vie entière. Qu’est-il possible d’en percevoir sur la durée d’une scolarité ? Qu’est-il possible de mettre en place durant cette période pour favoriser le double déploiement de la capacité à créer et de celle à accueillir l’art, sans pour autant être soi-même artiste ? L’enseignement artistique introduit une dimension que l’école ne gère pas de même manière : celle du parcours individuel de chacun et des prolongements à longs termes de l’enseignement reçu. L’évaluation traditionnelle porte sur un « niveau » de connaissances de l’élève et une assimilation plus ou
moins fine d’acquis correspondant à un état ponctuel. L’adaptation des connaissances à l’usage effectif en classe et leur pertinence en regard de leur emploi ultérieur par l’élève échappent le plus souvent à un tel sondage. Pour exister, l’enseignement artistique doit, pour sa part, intégrer ce dépassement en prenant l’art et sa pratique – et non l’école- pour référent. De tels objectifs et positionnements modifient la perception d’une discipline par rapport à une autre. Les « matières » estimées les plus solides sont celles qui collent à l’image de l’école et en quelque sorte la fondent, tandis que les autres paraissent s’en écarter au point de faire douter de leur place en son sein. Le « facultatif » (assimilé à un enseignement à la demande et non à ce qui développe des facultés) en regard du « fondamental » trouve là l’une de ses origines.

La détermination et la légitimité des contenus à étudier posent également problème à l’institution scolaire. L’artiste définit son champ d’intervention, sa démarche ou encore ses moyens en puisant dans un fonds qui nécessite une réappropriation individuelle afin d’exister en acte. Enseigner l’art sans engager l’élève à explorer cette voie reviendrait à le détourner de ce qu’est une pratique artistique. Ainsi quand l’art, aux frontières infiniment complexes et aux pratiques diversifiées, interroge l’enseignement artistique, l’école, dans son versant le plus « scolaire », présente des « disciplines » tels des domaines circonscrits avec clarté (parce que s’en étudie toujours le même noyau) régis par des règles d’intégration des connaissances prétendues indiscutables. « 2+2 = 4 » adopte la valeur d’un fait avéré alors que, selon les époques, l’art de Van Gogh, Schoenberg, Buren ou Boulez pose problème et questionne l’école sur sa capacité à admettre ce qui déplace les limites.
Les critères qui permettent de légitimer ce qui s’enseigne et ce qui possède assez de valeur pour rejoindre un champ de références sont conditionnés par la connaissance actualisée en un domaine spécifique, mais aussi par les relations plus larges entretenues au savoir et au projet politique nourri pour la personne appelée « élève », « parent » ou « enseignant » qui passe plusieurs années de sa vie à l’école. De façon paradoxale, le débat sur l’enseignement artistique révèle les problèmes que l’institution scolaire entretient au savoir, ainsi qu’à la formation initiale et continue. Demander si l’école a la capacité de recevoir l’art en train de se faire revient à interroger la capacité de celle-ci à intégrer le savoir dont elle est contemporaine. En effet, que le domaine soit scientifique ou artistique, le « socle commun » n’arrête-t-il pas ses limites bien avant notre arrivée sur terre ? L’école parle-t-elle du monde qui est le nôtre ou d’un autre raconté dans les livres et devenu mythique ? Quand, fait aggravant, le manuel scolaire n’existe pas en tant que support de cours (comme c’est le cas pour l’enseignement artistique) comment accréditer l’existence même de contenus tangibles et communs ? L’école instaure ainsi une hiérarchie entre les connaissances issues du livre et de l’écriture et celles qui ne le sont pas. Pourrait-il en être autrement pour un mode d’enseignement marqué historiquement par la religion ? Non. Toutefois, pourquoi cette trace perdure-t-elle dans un système laïque où les valeurs de l’apprentissage, de l’échange, de l’expérience acquise et celles du travail sont avancées pour consoler ceux qui échouent dans la voie majeure empruntée par le cursus scolaire ? Serait-ce des mots ?

La pratique et son cortège de maux, cette fois, (salissures, besoins d’espace, de moyens matériels, de temps, de formation…) perturbe également l’école. Du diplôme obtenu avant d’entrer dans « la vie active » à la « pédagogie active » de l’Education nouvelle en regard de formes convenues, du « stage en entreprise » à l’ « orientation scolaire », tout semble rappeler que le quotidien de l’école -pour ne pas dire son cœur- ne se reconnaît pas dans la pratique. Or le propre de l’enseignement artistique est précisément de valoriser la pratique afin d’élaborer une démarche qui la lie à la réflexion. Reléguer hors du temps scolaire commun l’enseignement artistique, c’est attenter à la pratique elle-même, à sa valeur formative et à sa dimension créative qui la dégage de la simple exécution. Cela revient aussi à supposer que faire apprendre consiste à faire entrer des données sans autre support que le texte ou le langage conçus comme des encodages pour parvenir à les fixer et à les restituer.

C’est en réalité le corps qui dérange : un corps parfois malade mais toujours sexué, un corps qui éprouve du plaisir, vit et se transforme, se voile et se dévoile… Dès lors, non contents d’exclure l’enseignement artistique en instaurant une ségrégation culturelle et sociale dans les textes et les faits, les politiques relèguent aussi l’éducation physique au rayon des accessoires alors que la pratique et l’engouement pour le sport n’ont jamais été aussi forts. Ici, comme avec l’art, la rupture est consommée avec les aspirations des jeunes d’autant que l’ascension sociale que le sport autorise parfois semble effrayer. Les mutations du bulletin scolaire et les débats autour du calcul des moyennes nous alertaient pourtant : il n’y a pas à mélanger les torchons et les serviettes, les notes de mathématiques et celles d’arts plastiques, d’ailleurs dans certains «grands lycées» seules « comptent » les notes de mathématiques et de physique, même le «français » tombe du socle.
La main restera-t-elle ainsi indéfiniment opposée à l’esprit dans un schéma simpliste qui finit par adopter la tournure d’une confrontation de « classes » d’ordre plus social que scolaire ? A quoi servent les recherches en sciences et sciences humaines si l’école et les politiques ne traduisent pas en acte ce qui est découvert dans le domaine de la perception, de la mémoire, du langage, de l’apprentissage et plus largement de la pensée ? Existerait-il des mondes parallèles ou, une nouvelle fois, la scission artificielle entre recherche et application, théorie et pratique, occasionnerait-elle des dégâts sur les humains que nous sommes ?

L’école a du mal à intégrer la recherche et les formes « désordonnées » que celle-ci déploie. Vue sous cet angle, la question de l’enseignement artistique révèle bien plus les effets des choix politiques que les problèmes posés par l’art et sa médiation. La diminution des crédits de recherche pour les laboratoires trouve ainsi, à l’école, son pendant dans la modicité des dédoublements de classe pour travaux pratiques ou encore dans l’inadaptation des locaux. La recherche nécessite du temps et des moyens que l’école affirme ne pas avoir en raison de l’obligation de « résultats » et du déroulement de « programmes » par ailleurs établis à la manière de listes de courses à faire à la hâte, plus que de contenus conceptuels à maîtriser, de compétences à élaborer et de domaines à investir. De fait, les démarches expérimentales sont trop rares en cours de sciences, tandis que l’enseignement artistique -qui ne produit pas d’« objet d’art »- adopte l’allure de dilapidation de moyens dans un contexte de dotations horaires de plus en plus allégées et de « soutien » scolaire réduit à une place symbolique qui le prive d’efficacité.
L’école devient le lieu où l’on ne cherche pas, sans pour autant être celui où est appliqué ou étudié ce qui a été trouvé ailleurs. Il est dès lors davantage question d’y pratiquer le ressassement de ce qui fait d’elle l’école. S’entrevoit ici le fonctionnement actuel de la télévision qui génère des émissions sur la télévision, celui de la radio sur la radio ou encore de la publicité sur la publicité. Nous sommes dès lors confrontés à un fait de société et non à une option pédagogique recentrée sur des « enseignements fondamentaux » garantissant la réussite scolaire.

Opposé à la recherche sans but identifié et immédiat dans laquelle l’enseignement artistique serait supposé se reconnaître, il y aurait le travail. Il est ainsi conseillé de « bien travailler à l’école » et de ne pas y « rêver ». Toutefois quel artiste pourrait nier les vertus de l’étude et du travail : le danseur, le sculpteur, le violoniste, le cinéaste, le peintre, l’acteur, le clown, le poète ? La nouvelle question adressée à l’école et à la société est celle-ci : sont-elles capables de repenser le travail et ses formes en les adaptant à la formation d’une personne ? En d’autres termes, n’existe-t-il qu’un seul moyen pour enseigner, une seule méthode pour apprendre, un seul protocole validant un travail effectif à l’école que ce soit pour l’élève, le maître ou les parents ? Plus encore, l’école que ceux qui nous gouvernent cherchent à bâtir n’adopte-t-elle pas la forme d’une « pensée unique », celle qui serait jugée légitime en son sein? Les voies divergentes empruntées par la pensée ne seraient même pas reconnues en tant que telles mais dévalorisées sous des appellations changeantes (« expressions », « émotions », «éveil »). Semblable école ne combattrait pas la violence puisqu’elle contraindrait. En fait, avec la prétention d’agir pour le bien commun, elle exercerait elle-même la violence et en susciterait.

Le gouvernement adapte l’école à l’entreprise, c’est dire si un débat portant sur la définition des objectifs qui lui sont assignés est nécessaire. En effet, que faire de qualités créatives développées grâce à l’enseignement artistique dans une entreprise : au mieux des entrepreneurs au pire des syndicalistes ? Mieux vaut écarter ce risque car ce qui gêne dans l’enseignement artistique, c’est le fait que le dépassement du maître par l’élève s’inscrive dans son principe même et atteste son efficacité. Le rapport à l’autorité inquiète. L’imagerie populaire préfère relater des chahuts en classe que le fait que Matisse, aussi, ait eu des maîtres. L’étude de l’art instruit sur la démocratie et forme le citoyen en interrogeant, entre autres, ce qui fonde l’autorité d’une personne comme les symboles, les codes et les repères qu’une société toute entière se donne. L’enseignement artistique authentique invite ainsi à une mutation car apprendre à regarder, c’est aussi apprendre à se regarder et à exercer son sens critique et politique.

Le pire est peut-être, en fin de compte, que l’enseignement artistique mette en avant le sujet. Dire « je » quand ailleurs il est question de s’effacer, d’utiliser le neutre, de prendre de la distance, apparaît déplacé, obscène voire immoral. Toutefois se construire en tant que sujet, reconnaître les autres en tant que tels, « travailler » au quotidien l’identité et l’altérité, éloigne-t-il de l’éducation ? Non, mais comment contrôler l’imaginaire qui peut surgir à tout moment pour déborder la réalité de la classe ? Ce qui trouble en ces temps où la génération qui a moins de vingt ans n’a connu que le plan « vigie pirate » pour réglementer ses déplacements, c’est d’ouvrir une porte : celle qui découvre l’espace de la création. Par cette voie, l’enseignement artistique ferait-il pénétrer à l’école un souffle assez puissant pour qu’elle vacille de son « socle » ?

© Joëlle Gonthier
Paris janvier 2005

lundi 7 avril 2008