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Plasticienne. Créatrice de la Grande Lessive (site http://www.lagrandelessive.net, blog http://www.lagrandelessive.com) Performeuse : conférences-performances publiques et interactives sur l'art et sa définition. http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Politiques-ministerielles/Education-artistique-et-culturelle/Actualites/Conference-Performance-Un-conte-pedagogique-de-Joelle-Gonthier Conceptrice de dispositifs. Entre autres : http://classes.bnf.fr/clics/accueil/presentation.htm, http://expositions.bnf.fr/portraits/pedago/cent/index.htm,http://expositions.bnf.fr/objets/pedago/00.htm,http://expositions.bnf.fr/lamer/parcours/index.htm

L'art au quotidien est écriture de l'art en train de se faire, ici et maintenant, dans mon atelier ou dans mon jardin, en ville ou sur d'autres territoires. Support destiné à une lecture publique, il retient une écume qui dira ce qu'elle est plus tard. (Tous droits réservés pour les textes et les images).

samedi 29 novembre 2008

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Ce que l’enfance nous apprend de l’art

L’enfant aborde l’art en dépit du retrait ou des réticences de l’adulte, ainsi que du désengagement de la société. L’investissement familial et scolaire pour lui apprendre à lire, à écrire et compter est considérable comparé à la modestie d’un apprentissage de l’art lié au hasard de la naissance et à celui de rencontres. La réussite isolée passe ainsi pour une preuve que l’art repose sur la nature des êtres et non sur l’enseignement reçu puisque le temps d’exposition du tout-petit à l’art est presque inexistant.

Les pratiques de l’enfant autorisent cependant à formuler quelques pistes pour comprendre l’art et s’engager en sa direction, dès le plus jeune âge. Ce qui s’y apprend est la différence : la différence entre des objets, des usages, des matières, des formes et des couleurs, des significations ou encore des démarches. La pratique de « l’arrangement » découvre également des espaces et instaure des mises en relation qui vont, entre autres, favoriser cet apprentissage. Ranger, déranger, associer, trier, manipuler, toucher, déplacer, tordre, démonter… participe d’une appropriation du monde et initie une connaissance directe qui rejoint celles de l’artiste. L’installation artistique qui verra le jour par décision de l’adulte, puise sans doute à la même source que cet arrangement entrepris dès la petite enfance. Toutefois, l’un n’équivaut pas à l’autre : l’existence ou l’absence d’une intention artistique et d’une inscription délibérée sur un territoire dont la portée, les mœurs et les usages sont connus, distinguent l’un de l’autre. Quand un artiste crée, il sait qu’il n’est ni le premier ni le seul. Il destine à d’autres ce qu’il fait en usant de moyens affinés par une expertise et une réflexion singulières. L’enfant peut-il acquérir de telles connaissances et compétences sans concours extérieurs ? Il ne se voit pas lui-même, apprend peu à peu à découvrir le visage des autres comme à se reconnaître et bien que doté de mémoire, il ne se souvient pas de ses trois premières années. De plus, il n’a pas encore reconstruit les catégories élaborées par l’adulte. Pour comprendre « ce qui va ensemble » ou ce qui n’y va pas, il a peu à peu à user de critères perceptibles (la couleur, la forme…) ou non perceptibles (l’usage, l’appartenance, la provenance, la destination…) qui obligent à questionner ce qui l’entoure, comme ce qu’il connaît, mais ne voit pas auprès de lui.
Lors de sa fabrication et quand il en deviendra le spectateur, l’image (qui n’est pas un objet) va apprendre à l’enfant, à s’inscrire dans un monde peuplé d’hommes qui savent faire entendre et faire voir ce qui les anime. Raconter et partager n’est pas rien, d’autant que ce qui est ainsi démontré c’est qu’il existe de multiples moyens de le faire, y compris sans parler, bouger, crier… L’image n’a-t-elle pas précédé la parole ? Ce qui s’apprend est également le « savoir-montrer » et le « savoir-dire », mais également le fait de « voir comme… ». Il s’agit par exemple de voir un objet n’ayant pas cette destination-là comme un chapeau, un animal... Le fait de « voir dedans » est également utile. Il s’agit par exemple de reconnaître dans un tableau, la fleur vue au jardin. Peu à peu, ce qui s’apprend est aussi la représentation des choses en leur absence. Ceci implique d’apprendre ce qu’est la présence, l’absence et bien d’autres choses encore. C’est dire si, pour faire de l’art, savoir tenir un crayon ne suffit pas. Si ce n’était qu’affaire de motricité et préparation à l’écriture, d’autres apprentissages seraient moins mobilisateurs, or l’art implique tout notre être.

Il existe bien d’autres aspects à souligner comme le fait d’apprendre à donner corps à une idée ou découvrir le pouvoir de l’imagination, mais dénombrer ici serait oublier que tout peut faire sens plus tard, quand l’existence de l’art une fois confirmée par sa pratique à l’école, en famille et ailleurs, suscitera le désir de s’engager dans son exploration.
L’erreur de l’adulte serait d’évaluer ce qui est accompli par l’enfant à l’aune de ce qu’il sait lui-même. Ainsi, à l’école, la fréquence de la pratique de l’empreinte de main ou de pied dans l’argile peut rendre banal aux yeux de l’adulte ce que réalise l’enfant. Pour le tout-petit, il s’agit pourtant d’une première expérience du retrait. Il pose sa main, la retire et découvre la trace laissée, c’est-à-dire l’indice d’une présence passée. Il obtient par cet acte la possibilité de montrer, de devenir spectateur de son oeuvre et de conserver ce qui creuse l’argile et l’interroge lui. Cet acte est fondateur. Pour l’enfant comme pour lui, le danger serait alors de passer à côté de ce qui fait naître au monde et à soi-même, grâce à l’art.

Joëlle Gonthier, Paris septembre 2008